Un papillon doutait de l'existence des
Dieux; de leur amour de la justice terrestre...
"Au moins ne suis-je pas un œstre
Torturant quelque bœuf, mouton ou équidé!
Et ma vie est-elle fort colorée, agreste!"
On peut ajouter que son vol
Demeure sans conteste
L'un des plus beaux gestes
De la nature à deux mètres du sol:
Que serait l'air sans ses dièses et ses bémols?
Lesté par de hautes visées
Et propulsé par des souvenirs élogieux,
Plein d'une courte vie achevée depuis peu,
Aussi fraîche dans son esprit que la rosée
Du matin,
Il volait dans les allées fleuries d'un jardin
Où aucune fleur ne semblait indisposée
Par sa venue. Il voletait parfois plus loin...
Toujours en appoint
Des prouesses multicolores
De Flore;
En témoin
Et en objet de leur pesée...
Il voltigeait parfois plus loin
Encore… Un vallon lui tenait lieu de vallée...
Il était alors un jeune homme valeureux,
Ennemi du sauve-qui-peut!
Le chef du parti de la citadelle
Comme l'espoir de la cité! Bien sûr vaillant,
Premier parmi les siens, néanmoins bienveillant!
Eloquent et soutien fidèle
De la beauté, de la vérité et des arts,
Ni tête brûlée, ni trouillard...
Minerve lui devait une fière chandelle!
Avec ça, regrettant de n'avoir pas du miel
Aux lèvres pour supplanter un défaut de fiel...
Mais fauché dans la fleur de l'âge
Par un coup du destin, dommage!
Il avait (plus têtu qu'une mule, buté!)
Refusé de boire l'eau douce du Léthé,
Préférant s'y baigner, y pratiquer la nage.
Il était revenu sur la terre sans bruit...
Conscient d'hier et d'aujourd'hui...
Les dieux font du bel ouvrage:
Ils firent du jeune homme plongé dans la nuit
Un papillon plutôt qu'un aigle!
Un débris volant farfelu, espiègle!
Pourquoi le mauvais sort s'acharnait-il sur lui?
Comment croire en la justice? Bonté divine!
Ô papillon frêle et sensible, où tu chemines,
Tu allèges! Citron, tu illumines!
"Que serais-je donc devenu après ma mort
Si faute d'avoir été un sage, un mentor
Avant l'heure, j'avais été vil, malhonnête,
Le dernier des derniers, vantard, hâbleur, sans tête,
Vaurien, vicieux et vautré dans l'oisiveté,
Un contempteur des fables et des poètes
Faisant la honte du genre humain, été,
Automne, hiver, printemps?" Je ne sais que répondre!
Quelle créature convoquer ou semondre!
Aucun animal ne se présente à l'esprit!
J'ai beau me creuser les méninges,
Il me semble faire du tort au singe,
Au chacal, à l'hyène, au cochon, au cricri!
"Si j'avais été réincarné en abeille,
Au moins la preuve serait faite
Que les dieux connaissent les ambitions secrètes
Des hommes qui vivaient encore l'avant-veille!"
Il volait ça et là, de fleur en fleur,
Et parfois il en est une qui tangue!
Mais parce que chétif, nullement querelleur,
Nul ne pouvait entendre sa harangue
Evanescente dans les airs...
Ses interrogations légitimes, profondes,
Se volatilisaient, fondues en un éclair
Dans les molécules des senteurs vagabondes...
Chose légère et inutile à ses yeux, plus
Légère que la cendre ou le fétu,
Il croyait être la vivante
Et précaire matérialisation
Du chariot du soleil guidé par Phaéton!
"Ces odeurs sont si enivrantes...
Mon inconstance est causée par ces fleurs...
Auxquelles j'unis très volontiers ma couleur."
Qui l'apercevait se plaisait à suivre
Le safran, l'or ou le cuivre...
Nul ne soupçonnait ses tourments:
En lui seul résonnaient ses propos désarmants!
Ondulation flirtant avec le bord du gouffre,
Electrocardiogramme folâtre, chagrin,
Croisant parfois un compère sentant le soufre,
Il embellissait le jardin!
Pour l'attirer, les fleurs redoublaient de malice:
Vive était la concurrence entre leurs écrins!
Telle était sa façon de boire le calice
Jusqu'à la lie! Roulant des regrets infinis...
Plié en deux, déposé sur la fleur butinée,
Récompense d'une tragique destinée!
Et pompant le nectar exquis
Mêlé à son indignation! Curieux mélange!
Que seul un confident trié sur le violet
N'eut point trouvé étrange.
Pourtant, avec son vol vrillé
Et sa propension à briller,
On eut dit une âme libérée de la fange,
Ivre de liberté retrouvée! Un renfort
De poids, léger, pour les fleurs au bord
De l'apogée ou de la flétrissure. Crêpe
En brassard, il volait, intrigua une guêpe,
Insecte doté d'un aiguillon, portant beau
Du fait de sa livrée jaune et noire de tigre...
Ils font connaissance... Bientôt
Le papillon vide son cœur et se dénigre:
"Je ne suis plus qu'un ornement
Alors que j'étais le premier parmi les hommes!
Vous n'étiez que bête de somme,
Mulet chargé de bâts, vous voici maintenant
Guêpe! Tout juste si vous n'êtes
Pas roi des insectes, tenant le sceptre:
Le clou de girofle! Fin prêt pour le combat,
Vous dissuadez! – Ami, je vous arrête là!
Faire usage de mon dard ne m'amuse guère...
Etre un pique-assiette, découper un morceau
Sous la menace du couteau...
– Quel courage! Je vous laissais faire!
Nous partagions! Nous étions frères!
– Vous avez vos beaux souvenirs et j'ai les miens!
Je regrette mes montagnes, croyez-le bien!
Les torrents tumultueux, la fonte
Des neiges au printemps! Les abîmes qui rompent
L'entendement et les frayeurs que l'on surmonte!
Le muletier ange-gardien!
Jouissez de votre trompe
Car seul le présent compte.
Pleurer le passé ne nous mènera à rien.
– Vous pouvez vous défendre,
Tandis que moi, nul ne me craint!
Certes, je suis aimé, je connais le refrain!
On admire mon vol! Et vers moi, on peut tendre
La main... Désespoir du jongleur!
Narcisse ailé parmi les fleurs!"