Je ne veux pas être le maître des horloges…
Je veux juste être installé aux premières loges…
Aube, matin, midi, après-midi ou soir,
Je veux voir comment Diane va les recevoir...
Si elle pourrait les confisquer à son frère…
Et si Apollon archer la laisserait faire…
Il me faudra les doubler et passer devant.
Pour cela, très probablement,
Il faudra qu’elles suspendent leur course
Et se changent, se transforment en source.
Ainsi font-elles quand leurs chants
Sortent de leurs bouches
Et prennent les devants.
Beaucoup me croient ailé, rapide,
Parce que poète… Capable d'enfiler
Des perles à vive allure, et,
Dans la foulée, incapable d’être insipide…
Ils n’ont pas tort; cela dit, cependant,
Il est plus aisé de les suivre en musardant…
Je crois en la réalité des trous de verre…
Je trouverai toujours un bassin d’eau claire
Dans lequel plonger et auquel dire merci!
Il n’est de meilleurs raccourcis:
C’est Hylas qui court le plus vite…
Je veux être son émule, son acolyte!
Je ne cours aucun risque en agissant ainsi!
Je leur tomberai dessus quand elles chahutent
Dans l’eau!
Je m’éviterai probablement une chute!
Je sauverai, qui sait?, ma peau.
Beaucoup croient que rattraper les Muses et Diane,
Les doubler, passer devant,
Choisir le lieu du campement,
Sera pour moi un jeu d’enfant.
Ils se trompent, ils ont trop bu de valériane.
Ils rêvent! Ils surestiment les pouvoirs du
Poète! Ils font peu de cas des pièges tendus
Par la poésie!
Ils négligent les obstacles inattendus
Semés partout, que l’on doit à la fantaisie
Des arbres facétieux, à l’imagination
Débordante des bois, à la pénétration
Obscure des forêts alpines…
Je crains les croche-pattes des racines,
Les branches écartées que l’on prend dans le nez,
Les volées de bois vert dans la poitrine,
Les chablis qu’on doit contourner.
Je crains les toiles collantes des aragnes...
Les filets tendus pour les oiseaux, pannes
Sèches dans les mailles énervées des filets.
Je crains les coups de filet des belles images
Dont on finit par être la proie et l’otage,
Un peu comme Narcisse devant son reflet.
Au surplus, je ne voudrais pas courir le risque
De passer à côté des Muses sans les voir
Comme si j’étais aussi aveugle qu’un disque
Tournoyant en l'air dans le noir.
Je sais combien les curiosités naturelles
Les intéressent et les retardent parfois.
Myrtilles ou bandeau de la sittelle.
Je sais combien il est difficile une fois
Qu’on est lancé de changer de vitesse.
On préfère se laisser porter par l’ivresse.
Le rêve est si doux, si prégnant,
On ne veut plus être stoppé dans son élan.
Or, je ne voudrais pas, en passant devant elles,
Les souffler comme une chandelle!
Ce serait pour moi un malheur.
Ce ne serait pas me faire une fleur!
Je dois éviter aussi d’être le phalène
Qui se brûlerait les ailes à leur contact.
Mieux vaut courir à perdre haleine,
Au moins demeurerai-je intact!
Ne jamais s’enflammer, toujours rester modeste:
Composer ces vers occupe tant mon esprit
Mes sens peuvent être oublieux du reste
Et pourraient ne pas voir qu’elles ont atterri.
C’est vrai, je me débrouille entre les lianes,
C’est vrai, j’anticipe à la vitesse du son,
Mais je ne suis, hélas, qu’un pauvre nourrisson,
Pas un enfant! Je ne peux noyer le poisson:
Je ne suis pas le fruit de leurs entrailles; Diane
N’a pas aidé Thalie, Uranie ou Clio
Dans leurs couches le jour où je suis venu au
Monde… Je ne suis fait du même matériau
Qu’elles: je respire brillamment, mais j’ahane
Souvent… J’ahane comme un bœuf!
Je ne suis pas issu de leurs viscères.
Si Diane me demandait laquelle des neuf
J’aurais voulu avoir pour mère,
Je ne saurais que répondre à ceci.
Je n’y ai jamais vraiment beaucoup réfléchi.
Cela nécessiterait sûrement des heures
De réflexion de ma part… Car
Ce choix aurait des répercussions sur mon art
Et sur ma poésie. Le mystère demeure…
Je bois en tout cas toujours avec appétit
Le bon lait tiède qui jaillit de leurs poitrines.
J’aime bien entendre tout ce qu’elles serinent,
J’en ai pris l’habitude depuis tout petit.
Je possède bien neuf nourrices
Qui me tendent le sein, reprennent par la main,
Chaque fois que mes vers faiblissent ou tarissent.
J’ai appris à marcher sur un vieux pont romain
Et je m’attarde dans les églises romanes…
S’y prolonge indéfiniment la veille au soir.
Plutôt que passer devant Muses sans les voir,
Je risque bien plus d’être semé comme un âne
Qui a vu des chardons… ou comme un canasson!
Pour tous les roussins j’éprouve de l’affection!
Je risque bien plus d’arriver à l’improviste;
D’être un survenant jetant un froid au milieu
De l’assemblée. Je me dois d’être réaliste:
Les Muses décideront de l’heure et du lieu,
Et certaines nymphes complices
Prépareront sans doute en amont le terrain
Pour que mon éruption ne soit pas un supplice.
Je dois appuyer sur la pédale de frein
Si mon apparition doit semer la zizanie.
Le pire, ce serait que mon épiphanie
Soit vécue par elles comme une vilénie!
Un vilain tour dont la Fortune a le secret!
Si tel devait être le cas, un coup d’arrêt
Je devrai y mettre sur-le-champ. La Fortune,
Elle aura beau me promettre la pleine lune
En échange de ce méfait,
Je ne serai ni son hochet, ni son jouet.
Je ne serai pas l’instrument de son caprice.
Fut-elle jamais de près ou de loin complice
De mes espérances? Prit-elle jamais soin
De mes vœux les plus chers? Non! Point.
De dire le vrai à son sujet il me tarde.
Je n’ai jamais vu allégorie si flemmarde,
Et vu ce que j’en lis dans les textes anciens,
Dieu soit loué si les Muses m’en gardent!
Ce serait déjà très bien!
Je ne veux pas la voir à la manœuvre,
Je ne tiens pas à la voir dans ses œuvres.
Je préfère la savoir endormie au loin…
La roue de la Fortune est rouillée il me semble:
La roue de la Fortune tourne beaucoup moins
Vite qu’on ne le dit; elle grince, elle tremble;
Je n’en voudrais pas comme roue de mon char.
Je préfère peaufiner ce très bon départ!
Je vole sous de bons auspices.
Je ne suis pas pressé de voir avec mes yeux
Ce que je peux entendre avec leurs cris joyeux.
Je laisse aux Muses le choix du moment propice
Et aux berçants montagneux le choix du bassin.
Je ne déboulerai pas comme un marcassin.
Il reviendra aux Muses de lever le voile
Sur moi et à mes vers de faire plier…
Diane!
Je ne déboulerai pas comme un sanglier,
Un cochon sauvage déchirant une toile
De tente; je tiens à me la concilier.
Je chanterai tous les rideaux de mousseline
Que l’on voit aux fenêtres de son campement.
Les fourrures de martre et sûrement d’hermine.
La subtile dentelle des précieux moments.
Je m’accorderai ce délice:
Orchestrer leur entrée en lice…
Comparer la longueur de leurs robes avec
La nudité de Diane se mettant au sec.
Je ne sais que tenir ma plume.
Je ne sais qu’encenser les brumes.
Je ne sais pas travailler des deux mains
Quand je n’ai pas de nymphe sous la main.
Je ne suis certes pas né d’un très haut lignage,
Mais je sais repérer une ligne de partage
Des eaux. Je saurai rester sur le bon versant
Et prendre mon mal en patience.
J’attendrai le moment où de toute évidence
Sera bienveillante la déesse au croissant.
Beaucoup croient que mes vers ailés sont un pétase
Et que j’écris juché sur le dos de Pégase,
Mais tout cela est faux et très exagéré.
J’écris en un lieu oxygéné, aéré,
Qui brille par la virtuosité de ses feuilles.
Je ne serre pas sa crinière qu’il le veuille
Ou non. Je n’en conçois d’ailleurs aucun regret
Car, dans les faits, seule la volupté me guide,
Motive mes adrets. Je ne peux pas le nier,
Je recherche des heures lentes et languides.
Je me laisse aller, oui, je me laisse délier
Au fil de l'eau douce qui veut de moi pour maître
Tant mon âme de l'eau vive aime à se repaître.
J’aime ses reflets qui tempèrent la clarté,
Qui colorent la fraîcheur et la pureté.
J’ai peu d’admiration pour les mangeoires.
Je n’ai d’appétit que pour les buissons
Portant des baies odorantes et noires.
Mes goûts me portent devant des boissons:
Des baignoires d’eau fraîche
Et des abreuvoirs de chair fraîche
Comme le veut la tradition.
Je n’ai rien contre les gazes et collations.
Les doctes filles grecques de Zeus à l’égide,
Elles chantent clair comme font les Hespérides
Qui font tout pour leur ressembler
Sous les arbres de leur verger.
Je ne suis certes pas né d’un très haut lignage,
Mais j’ai accès à leur breuvage.
Il désaltère en nourrissant.
Il est nectar et ambroisie, surtout sapience.
J’attendrai le moment où de toute évidence
Sera bienveillante la déesse au croissant.
Le moment précis où mes vers l’auront mûrie…
Le moment où Diane aura sûrement envie
De se laisser tomber au sol, tomber au bain…
J’attendrai des Muses le signe de la main.
Aux dires des feuilles nouvelles que je croise
Et des nombreux témoignages que je recueille,
Le soleil même ne l’éclipse pas en clarté
Quand Diane est en majesté…
Cela ressemble à un confessionnal d’eau fraîche:
Dans le bassin enchanté
Elle va bientôt entrer.
Enfin, grâce à Diane, à ses amies, les eaux pèchent
Et découvrent dans le clair-obscur des forêts
Quelque chose à se faire pardonner.
Les doctes filles grecques de Zeus à l’égide,
Elles chantent clair comme font les Hespérides
Qui font tout pour leur ressembler
Sous les arbres de leur verger.
Elles chantent clair et pour cette raison même
Elles baignent en amont plutôt qu’en aval,
Passent beaucoup de temps au bord des fontaines
Bleues, quand ce n’est pas la fontaine du Cheval
Qui les retient. Tout cela explique en partie
Leur dilection pour Diane et ses amies.
Les éclaboussures sont souvent, et de loin,
Leurs plus sincères reparties…
En attendant d’être tôt ou tard le témoin
Privilégié de leurs énièmes retrouvailles,
Je ne vais pas à l’encontre de leur désir:
Je ferme la marche. C’est pour moi un plaisir,
Je les jette devant moi comme des semailles…
Comme des graines de petites fleurs…
Des graines de fleurs annuelles
Bien qu’elles soient immortelles!
Oui, je me contente de leur
Emboîter le pas sans leur voler la vedette.
Je fais tout pour qu’elles contractent envers moi
Une dette…
Je me contente de clore en
Musardant…
Leur passage en coup de vent…
D’ailleurs, soyons clairs, en pratique,
Je ne puis aller plus vite que la musique.
Je serais piètre poète si je fonçais
Tête baissée, si je la devançais
Sur la portée de quelque manière.
J’aurais bientôt fait
De me prendre pieds et talonnières
Dans la ronce ou le houppier.
Je me trouve frêle, malingre,
Comme si les Muses avaient été pingres
Avec moi de leur bon lait frais
Et avaient fait exprès!
Si je cherchais à être trop véloce,
J’aurais bientôt fait d’épuiser mes forces
Et de tomber d’inanition.
Ce poème connaîtrait une fin précoce.
Je sauterai sur l’occasion:
Si jamais je tombe d’épuisement en Corse,
Dans les châtaigneraies, je me restaurerai…
Et de glands de l’âge d’or je me nourrirai…
Je ne me priverai pas d’une telle aubaine,
Et comme il est en Corse mille et un balcons,
Je rattraperai aisément mes Athéniennes
Comme si j'étais un faucon.
C’est encore plus vrai au fond d’une profonde
Forêt où tout est couvert par le bruit des ondes:
Je sais les risques qu’on encourt
Quand on forme l’arrière-garde,
Quand on glane, traîne et s’attarde…
On peut très vite devenir la proie d’un ours.
Il peut arriver des mésaventures telles
Que celle arrivée à la nymphe Callisto.
Une rencontre, aussi mauvaise fut-elle,
On ne peut pas toujours y mettre son veto.
Si c’est l’hiver, je mangerai des clémentines.
Leurs petits culs verts viendront frapper ma rétine.
Je quitterai les forêts pour le bord de mer…
Provendes du zéphyr fourniront le dessert:
J’attendrai que le printemps mande
Auprès de moi ses offrandes;
Les parfums des fleurs,
Ses odeurs.
Il en est une à laquelle je ne résiste
Et qui peut me faire dévier de mon chemin…
Une avec laquelle faire son examen
De conscience, c’est celle, tenace, des cistes.
Ainsi de saison en saison,
Au fil du temps qui passe,
On mange toujours plus léger
Jusqu’au retour des pêches de l’été
Qui s’abîment vite, qui embarrassent,
Dont nul ne peut faire ample provision.
Pour être tout à fait honnête
Avec vous, il ne me déplaît
Pas d’être une queue de comète…
Je veux bien être la créature-balai…
Pour voler aussi vite que Muses et Diane,
Ne pas trop ralentir dans les chicanes
Que leur proposent les arbres de la forêt,
Les vers ailés sont-ils un préalable?
Les décasyllabes sont-ils indispensables?
Les octosyllabes sont-ils coupe-jarrets?
La pensée de l’homme, la verve du poète,
Sont-elles en tout lieu assez bonnes athlètes
Pour ne pas perdre de vue la divinité?
Les digressions, sont-elles des impasses,
Du petit bois mort et des branches basses
Dont je dois me délester?
N’est-on pas alourdi, ralenti par la rime?
Au ras des pâquerettes comme dans les cimes,
Eviter la lourdeur, c’est la priorité!
Les Muses courent, volent à bonne distance
Comme savent si bien faire les espérances,
Ces petites allumeuses. Je le vois bien:
Enchaîner des alexandrins,
Cela fait perdre du terrain.
Il suffit que j’en écrive quatre à la suite,
Il suffit que je sois régulier et constant
Pour que les Muses disparaissent un instant…
La chose ne saurait être fortuite…
Je ne peux escompter de leur part des gadins,
Mais j’entends au loin des chutes…
Des eaux vives qui exultent…
Je m'étonne fort de l'absence de gradins:
Ce n’est pas rien les voir passer et disparaître
Dans un courant d'air pur qui vient de naître!
Et à défaut de pouvoir les doubler,
C'est déjà bien de ne pas s'encoubler.
Je croise beaucoup de chênes, pas mal de hêtres!
J’attends avec impatience les sapins!
Les belles racines tortueuses des pins!
Je m’acclimate à cette ambiance sylvestre
Et j’y resterai fidèle dorénavant.
La forêt a encore de beaux jours devant
Elle:
Les bois s’entendent à merveille
Et comptent pérenniser leur rapprochement.
L’entente entre tous les arbres est bien réelle.
Muses et Diane la forêt peut pavoiser!
Elle m’invite à écrire des vers boisés
Avec ses nymphes qui débordent.
Il règne partout une étonnante concorde.
J’essaie de rester affûté dans les taillis,
De ne pas m’empêtrer dans les gaulis.
Je pénètre dans des clairières
Qui réclament des nouvelles de leurs amants!
Elles sont amoureuses de bosquets charnières
Apparemment!
Toujours pas d'empreintes
Au bord de l'eau
Le long des ruisseaux!
Seulement des épreintes!
Il est bon et succulent d'être devancé
Par des loutres qui les ont vues passer.
Nous savons combien elles sont légères!
Le courant n’a pas à frotter, à effacer
Des indices déposés sur la roche-mère!
Je ne m’offusque pas du pouvoir détachant
Des nymphes donnant libre cours à leur penchant!
J’aime les entendre jouer aux lavandières.
J’aime les voir frotter des galets blancs,
Puis s’étendre comme des incendiaires.
Je vole avec un sourire qui en dit long!
Et à la vue de tous les embruns que je traverse,
J'imagine en vol que je suis leur postillon.
De cette illusion je me berce!
Je ne vois pas le temps filer.
Quand viendra l'heure de la pause,
L'heure du bain, l'heure de pantoufler
Dans l'eau claire, l'heure des poses,
Je pourrai à mon tour souffler!
Eberlué par le spectacle
Aucunement abscons!
Installé dans le tabernacle!
Incrusté aux premières loges, au balcon,
Soufflé comme une chandelle par ce miracle:
Des baigneuses allant, puis revenant dans l'eau!
Engluées par les appels de leurs camarades,
Attirées là par le fracas d’une cascade
Faisant sur elles toutes l’effet d’un happeau.