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Diane et les Muses (petit extrait)


Je disais: si les neuf Muses étaient serties

Un jour dans la troupe jamais flétrie 

De Diane, dans sa leste société,

Dans la corolle immaculée de ses amies 

(Telles des étamines à la vérité),

Les nymphes useraient de tous leurs sortilèges: 

Les neuf Muses resteraient fourrées dans la fleur.

Ce serait en toute innocence, j’en ai peur,

Que nymphes formeraient une ronde ou un piège!

On ne les verrait plus en aucun autre lieu. 

On ne verrait plus les Muses lever des sièges

Autour des poèmes qui étaient défectueux.

Je n'ose imaginer Diane fermant les yeux,

Acceptant d’être empêchée dans ses gracieux

Mouvements par les Muses intimidantes.

Privant ainsi son frère de ses confidentes.

Je n'ose imaginer Diane fermant les yeux,

Cautionnant un séjour prolongé des neuf Muses

Loin des trois monts sacrés où l'on peut les trouver

Habituellement studieuses et recluses.

Mon imagination peut pourtant approuver

Un tel scénario… Si elle ne s'y refuse

Pas, peut l’encourager, et peut persévérer

En ce sens avec une certaine insistance, 

Ma raison, elle, montre quelque réticence,

Force l’imagination à décélérer.

Elle ne peut supporter leur absence

Du mont Hélicon…

Une lie au fond d’un flacon.

Ma raison ne peut concevoir le Parnasse

Sevré de leurs visites sur ses terrasses.

Cela dit, la géographie est ce qu’elle est:

Il n’y a pas très loin de la chaîne du Pinde

Au port de la ville de Brindes…

Il est aisé de décamper au pied levé…

La chose pourrait donc néanmoins arriver!

Diane trouve Apollon son frère

Efféminé quand il joue de la lyre au pied

Du mont Pélion ou ailleurs, parfois en galère,

Pour son plaisir ou pour expier.

Il aime se retirer au fond des bois comme

Diane dans les forêts. Bientôt, l’obscurité

Résonne de ses mélodies et apartés.

Il prend un petit air bonhomme  

Et le doux murmure du ruisseau argenté

Lui est alors apparenté.

Il joue tout seul et semble regretter Orphée,

Il semble jouer en souvenir de lui seul. 

Il rend hommage aux doigts de fée.

Les animaux l’écoutent au bord du nymphée

Comme firent jadis, déjà, tous leurs aïeuls. 

Quand les Muses font entendre leur chorale,

On est saisi par leur harmonie vocale.

On ne sait plus qui accompagne qui. Le chant

S’élève alors naturellement et se prend

Pour une brève senteur florale.

Apollon, en parfumant de musique l’air

Qu’il respire, se fait l’égal ou le disciple

De Flore. Fragrances et parfums du désert,

Doit-on chanter vos flâneries ou vos périples?

Apollon, en parfumant de musique l’air, 

Fait pousser le feuillage ou descendre l’éther.

Diane trouve que les neuf Muses l’adoucissent

Beaucoup trop

De la même façon que les nymphes polissent

Les galets qui baignent dans l’eau.

Diane est assez forte pour résister aux charmes

Des Muses. Ne résiste-t-elle pas déjà 

Aux séductions de ses amies qui la désarment,

Mais aussi à leurs grâces et à leurs appas?

Il y faudrait une fâcherie et rancune

De Diane vis-à-vis de Phébus, de la lune

Vis-à-vis du soleil, à la suite, qui sait?

D’une éclipse beaucoup trop courte…

Nous savons ce qu’il en coûte:  

On n’est jamais à l’abri d’un excès

De confiance ou d’un accès de colère.

Nous savons comment Cupidon  

Régala Apollon et régla son affaire:   

Daphné fut touché au cœur par du plomb.

Apollon par de l’or pur si je ne m’abuse.

Je ne crois pas que cette assertion se récuse:

Phébus fut ainsi dépossédé pour toujours

De son premier amour.

Ce serait encore pire, perdre les Muses!

Apollon a beau aimer jouer en solo

De la lyre au bord de l’eau...

Combler l’arbre du premier psaume,

Imiter les fleurs qui embaument,

Etouffer ainsi ses sanglots,

Ce n’est pas un sort que je lui souhaite.

Apollon serait forcé d'aller réclamer

Les Muses à sa sœur, Diane, et, je m’y arrête, 

Il serait peut-être hué plutôt qu'acclamé

Par les nymphes en cette instance.

Les Muses, feraient-elles de la résistance

Ou reprendraient-elles leur rôle de mentor

Auprès des poètes faillibles? 

Redeviendraient-elles audibles?

Pour convaincre les unes et les autres des torts

Causés à l’art, causés au monde,

Apollon ferait sans doute appel à un brin

De causette. Trouverait-il au bord de l’onde,

En dépit du fracas, au milieu des embruns,

Le bon discours dans sa musette?

On peut légitimement en douter. 

Phébus manque clairement de pratique

Tant il s’exprime par formules laconiques,

Ambiguës en public. Phébus peut redouter

Lui aussi son apanage: la vérité.

Phébus est plus taiseux et plus énigmatique

Qu’un capitaine au long cours… 

Il est de Sparte et ne jure que par le Taygète

Quand il délaisse le Parnasse quelques jours.

Muses, resteraient-elles muettes?

L’enverraient-elles balader?

Apollon ne cherche jamais à persuader

Car la vérité se suffit à elle-même. 

Essayer de convaincre borgnes et sourds,

C’est perdre son temps et c’est être balourd.

Comme la mort, elle est un bien suprême…

C’est en la respectant qu’on montre sa valeur…

Plus elle nous remue, nous désarçonne même,

Plus on lui doit de grands honneurs.

Apollon n’a pas la patience de défendre

Ce sur quoi nul ne devrait avoir à s’étendre.

Il revient aux Muses, il revient aux neuf sœurs

De verser de l’eau dans son vin, de la douceur.

Diane, oserait-elle tenir tête à son frère

Ou cèderait-elle très vite en cette affaire?

Les neuf Muses, elles, sont capables de tout.

Elles ont beau avoir le cœur en Béotie,

Elles demeurent athéniennes malgré tout, 

Pourraient tourner un éloge de l’idiotie

Ne serait-ce que pour rendre Phébus fou. 

Continueraient-elles à explorer montagnes 

Escarpées et bassins inédits avec Diane?

Retourneraient-elles sur les monts qui sont les leurs?

Comment trouver le bon argument qui fait mouche

Face à des locutrices de cette valeur?

Comment faire couler du miel de sa bouche

Quand les Muses sont préemptées par le nectar

Qu’elles collectent et noyées dans la corolle?

Quand elles ne songent plus à tenir leur rôle

Et leur rang… Quand, clairement, du matin au soir,

Elles n’ont plus d’yeux que pour Diane. 

Par quoi remplacer les ruchers de leurs esprits?

Les richesses intérieures de ces dames?

Les beautés cachées de leurs âmes? 

Comment faire couler du bon miel qui guérit?

L’eau vive n’est pas butinée par les abeilles!

On ne peut pas fabriquer avec du bon miel!

On peut en revanche prendre le bouillon! Quelle 

Joie et quel pur rafraîchissement sous le ciel!

C’est pour cela que je devrai les rejoindre

Toutes, elles comme les nymphes, tôt ou tard…

Les Muses n’auront alors de cesse de joindre

Leur salive au nectar, et de leur bon miel oindre

Mes lèvres, tandis que moi aussi, sans retard, 

Les imitant, je collecterai du nectar…