Au pied d’un mirabellier, de grand matin,
Une tourterelle pensait venir étancher sa faim.
C’était sans compter sur une malheureuse pie
Qui pratiquait le déni des estomacs des autres.
Il faisait gris ce matin-là, de cendre était le ciel.
Dans le verger où l'arbre trônait solitaire, où le miel
Ne coulait pas, la mangeoire faisait tout l'avoir
Des oiseaux du voisinage.
Déjà, les mésanges, bonnes cavalières,
Au bord de la rivière, à deux pas de l'embarcadère,
Sautaient de leurs montures pour atteindre la mangeoire
Où des graines de tournesol faisaient tout l'or noir.
Les moineaux levaient la tête vers les mésanges,
Et, comme moi, croyaient avoir affaire à des anges.
Elles se relayaient vite et formaient des rondes,
Ne restant agrippées au perchoir qu’une courte seconde.
Car grignoter au calme, dans la solitude des branches,
Est un grand luxe qu'elle recommande, je pense.
Cependant, des chardonnerets
S'en venaient interrompre leur ballet;
Ils monopolisaient alors la mangeoire;
Ils bâfraient en jetant ici et là des regards
De côté, qui étaient des regards de défi;
Certains regards absents et attendris
Accompagnaient par terre quelques graines
Qui faisaient aussi le bonheur d'une tourterelle.
Or, ce matin-là, une pie vint à passer dans la grisaille,
Qui ne put supporter la vue de cette entente cordiale.
Que l'arrogance du plus fort fit le bonheur de la plus douce,
Voilà qui la choque, qui l'interpelle et qui l'éclabousse.
« Comment?! croassa-t-elle à haute voix comme un corbeau,
On mange ainsi sans moi, on bâfre dans mon dos,
Cela ne peut être, et cela ne doit plus être au bord de l’eau.
Je vais remédier à cette anomalie qui m’exclue du tableau. »
Voilà notre pie qui se laisse tomber du ciel comme une pierre
Pour déclarer la guéguerre à la tourterelle
Et lui disputer ses graines.
Cette dernière, élégante, naïve, et peut-être un peu niaise,
Qui rêvait pour la gent volatile entière d'aise et de confort,
Se voit privée des graines offertes
Par la prodigalité involontaire du plus fort
Et même obligée de faire mine de fuir et de s’envoler,
Tant la pie semble vouloir lui picorer le corps.
Mais, à ce que cela ne tienne, elle s'accroche à terre,
Elle persévère au sol,
Commence une joute au fleuret avec la triste mégère.
Ce faisant, notre pie ne mangeait pas plus que l’autre,
Et gardait dans le fond de la bouche un vieux goût d’épeautre.
La manne tombée du ciel, la manne des graines
Ne profitait plus qu'aux moineaux heureux de l'aubaine.
Anges et chardonnerets continuaient dans les hauteurs leur office,
Sans se soucier de l'affreuse entrée en lice,
Quand, tout à coup, sans crier gare, les moineaux disparurent
Les premiers, suivis quelques minutes plus tard des gloutons
Et des anges du balcon...
Pour une raison dont ni la pie, ni la tourterelle, ne furent bien sûres…
Il pouvait s’agir d’un matou rôdant aux environs
Ou bien d'un vaporetto s'en venant de l’amont.
Je veux dire d'Ornans.
Ou encore d'un vapeur de la Nouvelle-Orléans.
Un temps mort étrange se fit autour de la maison.
Bientôt, les graines laissèrent place nette aux flocons.
La terre, l'herbe et les branches se couvrirent de neige,
Et les graines dans l’herbe blanche se tarirent.
Pas plus que la tourterelle, la pie n’avait fait bombance.
Elle s'envola à jeun
Chercher ailleurs une autre pitance.
On ne se fait pas du bien en embêtant quelqu'un.
Je crois qu’en la circonstance l’hiver Comanche
Voulut surtout moquer de l’oiseau noir la couleur blanche,
Et lui faire comprendre qu’à certains petits jeux,
Il vaut mieux laisser jouer seuls les dieux.