Je me souviens du temps lointain où j'ai appris
Que l’homme était un loup pour l’homme.
J'ai remarqué dans fables, contes et récits,
Que le loup était assez comédien en somme.
Puisqu'il en est ainsi, je me dis aujourd'hui
Que le loup doit sûrement sévir à Paris,
Surtout s’il est fin gastronome:
Les moutons y bêlent comme des métronomes.
Je déteste la meute qui chasse à plusieurs;
De fait, je ne porte pas le loup dans mon cœur;
Je suis loin de le tenir en très haute estime.
Quand j’entends des naturalistes unanimes
Me chanter que le loup est un sentimental,
Un animal fraternel qui fait du social,
Qui vit toujours entouré de ses congénères,
Je fais la moue, la grimace au final,
Devant cet éloge convenu et banal,
Etant moi-même un solitaire;
Et même un adversaire de la loi Julia.
L’important, ce sont les Julie,
Les Délie, les Lesbie, les lubies, les Laura;
Les Maria, les élégies et les chorégies.
Je sais que le loup vénère les dominants,
Je sais aussi qu’il respecte les hiérarchies;
Hélas, elles puent souvent leur oligarchie.
Ce n’est pas un tendre pétri de sentiments
Ou de relents de poésie.
La Fontaine nous l’a déguisé en berger:
Je le verrais plutôt drapé dans une toge,
Rôdant tout gominé, ou bien en doge
Perdu dans les vallées noires de Malébolge.
Jean de La Fontaine l’a trop bien arrangé!
Son tort est de nous faire croire
Que le loup s’inspire là de Maître Renard.
Sa fable gagnerait à être corrigée:
Le goupil demeure mon protégé;
Il ne doit point être mêlé à cette histoire;
C’est là une fable presque diffamatoire.
Le renard est trop fin et trop altier
Pour revêtir je ne sais quel costume
Qui ne lui serait pas entièrement dédié.
Il ne tolère que mœurs et coutumes
Qui lui viennent du chevalier.
Maître Renard n’est pas Vertumne.
Je ne voudrais pas être le grand méchant loup
Pour tout l’or du monde.
Je trouverais cette condition trop immonde.
Suivez le renard auquel on cherche des poux,
Suivez le blaireau qui sait mieux penser que vous.
C’est cependant par excès de culture
Plus que par crainte des carnages et forfaits,
Que je me défie du loup en littérature.
Par goût aussi des fioritures.
S'il était absent de mes guérets,
C’est certain: mon art de fabuliste y perdrait;
Ce serait me priver d’un triste personnage
Qui a toujours servi superbement l’adage.
Ce serait aussi donner quelque peu raison
A ceux qui veulent sa mort et son extinction.
J’ai trouvé une solution moyenne:
Je vais garder les loups en quarantaine
Dans un coin qui les fera réfléchir.
Ce que je souhaite ainsi obtenir?
Leur calme et juste repentir;
Que la nation des loups en vienne
A reconsidérer, souveraine et sereine,
La déplorable image qui est la sienne.
Pour cela, le meilleur cadre chez nous
Demeure celui de la vallée aux Loups.
Ils y seront tous à leur aise
Dans un joli parc à l’anglaise
Agrémenté d’un bel arboretum.
Une île ronde leur tiendra lieu de forum.
Qu’ils se réforment sous la majesté des cèdres;
Qu’ils s'inspirent du voyageur breton intègre;
Qu’ils s’abreuvent aux cyclamens
En pratiquant la Reverdie.
Fini la Roberie, vive la Robardie!
Qu’ils deviennent de véritables gentlemen!
Qu’ils se passent le mot d’emblée:
Un seul couple, seulement deux élus
Pourront venir se glisser à la dérobée
Dans les bosquets oubliés et perdus
De mes fables.
Qu’ils me fassent leur cour si le cœur leur en dit,
Qu’ils essaient de m’être agréables;
Cependant, parmi eux, cela doit être dit,
Les plus sages, les plus gentils,
Je ne suis point sûr de trouver les plus aimables:
Je tiens à ce que mon loup soit un cumulard,
Un farceur qui fasse rire Maître Renard.