« C’était bien la peine de faire le beau
Dans les hauteurs, sur ta falaise,
De jouer au dernier survivant du camp d’Alaize,
Regarde un peu comme tu es tombé de haut!
Tu as bravé Paris, le Roi, les Tuileries,
Versailles et Napoléon Trois le Petit,
Eh bien! Moi, le roseau phragmite, je déclare:
Vercingétorix fut condamné par César,
Courbet fut condamné à s'exiler en Suisse!
Et ton frère pleure comme un saule au Japon!
Tu n’es qu’un fier à bras; oui, que le Lison puisse
T’apporter enfin la raison.
Tes feuilles ont torché les sauterelles;
Tes creux n’ont jamais contenu de miel;
Tes ramures restent à l’écart des duels;
Ta tête ne fut jamais voisine du ciel;
Tes pieds n’ont jamais atteint le royaume
Des morts; au mieux, ils triturent les baumes.
La tempête t’a traité aussi lestement
Que le zéphyr traite tes glands!
Tu n’as même pas profité dans ta culbute
Des faveurs tonifiantes d’un jeune torrent;
Sitôt déraciné, ce fut pour toi la chute
Dans l'abîme; quel spectacle édifiant!
Cela fait plus d’un siècle maintenant
Que l’âne Gérôme est divisé en atomes
Qui le rendent plus autonome!
Lui qui entraînait le peintre vers les déserts,
Lui qui trottinait au centre de l’univers!
Caressé par Zélie, Zoé et la Juliette!
Lui qui tirait fièrement la charrette,
Comme Pélagie, en buvant les paysages,
Et qui se vantait d’être le bras droit du maître,
Qui naquit sous le bel ombrage
De ton cousin de la combe du Rau!
Il a suffi au ciel noir d’un pet et d’un rot
Pour t’envoyer paître, la tête la première,
Dans le courant de la rivière,
Où tu traînes comme un lourdaud!
La belle destinée de sage et de barbeau!
Alors que je peux voir ton ancien belvédère,
Toi, tu dois lorgner du côté des éphémères.
Je ne sais pas ce qu'il adviendra de ton bois
Si demain une crue décennale de choix
Vient toiletter la géographie rivulaire!
Allez, va, bon tête à tête avec les têtards!
Il commence à se faire tard,
Et j’ai le plumet qui me pèse;
Ma fauvette est revenue de Doulaize,
Et je me sens une âme de menhir.
Cependant, dis-moi, à quoi comptes-tu servir
Ainsi couché au fond de cette gorge?
Car avant que l’on fasse de toi des horloges,
Des charpentes ou un vizir,
S’arrêtera de couler le Guadalquivir! »
Le chêne est un sage: il se sait l’otage
Du Lison, et non pas du Tage!
Il ne sera pas la proie du soleil couchant:
Ses pensées baignent le Simoïs du levant.
Et que dire des belles et sveltes dryades?
Ne disaient-elles pas adorer les baignades?
La fauvette l’encourage d’un signe du bec.
Le chêne rétorque au roseau pète sec:
«La dépouille d’un chêne est une grande chose!
En ce moment, je prends la pose!
Même privé de mon rocher, déraciné,
Sous votre hampe, je soigne ma silhouette.
C’est là un emploi que je trouve honnête:
À peine si la chute m’a égratigné!
J’ai atterri auprès de ceux de ma lignée.
Pour le chêne, la mort est une après-dînée.
Regardez, les arbres ne portent pas le deuil
Autour de nous; la verdure reste replète
Et sait atténuer les effets de tempête
Que je ménage pour le bonheur des mirettes.
Mon bois n'est pas bois de cercueil.
Ce soir, je servirai de passage à belettes!
Et je verrai le renard courser l’écureuil!
Je m'inspire avec joie du rebond du chevreuil.
Je n'aime pas voir les roseaux mourir andouilles:
Sachez que vos grenouilles demandaient un roi,
Et que si j'ai chuté à pic en cet endroit,
C'est pour régner sur ces gribouilles;
Car Jupiter a été très clair avec moi:
Il n'enverra pas d'autre roi à vos grenouilles;
Tant pis si elles en croassent et bafouillent;
Elles peuvent râler, il en restera là.
Je suis fin prêt pour les bords de la Loue,
Pour les méandres, les redoux.
Croyez-moi: quand je tendrai l’autre joue,
La crue ralentira au garde-à-vous! »